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Dessiner des anamorphoses
12 juin 2022

Dessiner un temple grec en anamorphose sur une plage de sable

     Parmi les photos de trompe-l'œil réalisés, sur des plages de sable, par des artistes qui dessinent entre deux marées hautes, on trouve, sur le Net, la photo suivante. Cette anamorphose de temple grec a été réalisée par le sand (ou beach) artist néo-Zélandais Jamie Harkins.

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     Donner l’illusion de verticales et de volumes à partir de simples tracés à plat sur le sable, réalisés dans l’urgence car la marée monte inexorablement, n’a rien d’évident.

     L’effet produit peut être saisissant si, grâce à des dessins préparatoires minutieux, on évite erreurs de perspective (ex. : colonnes apparaissant penchées au lieu de sembler verticales) et défauts de cohérence à la fois entre les diverses parties de l’œuvre (ex. : ombres orientées différemment selon les colonnes) et entre le dessin et les personnages qu’on fait poser dessus (ex. : lorsque l’ombre d’un personnage semblant placé derrière une colonne paraît passer devant cette colonne).

     Des dessins préparatoires minutieux ? Mais de quoi s’agit-il ?

     Il s’agit essentiellement d’un plan (le « bon plan » annoncé dans le titre de cette page) dessiné à l’avance sur une feuille de papier de format A4 ou A3, qui, le jour dit, sera reproduit à bien plus grande échelle sur la plage pour servir de trame à ce qui devra être tracé dans le sable si on veut éviter des erreurs grossières, qui ruineraient tout l’effet de trompe-l’oeil.

     Il ne s’agit pas, vu le peu d’heures dont on dispose entre deux marées, d’un dessin complet, assorti de tous les détails souhaités – qu’on pourra ajouter à la fin si on en a le temps. Il s’agit uniquement de positionner correctement un certain nombre de points-repères qui, correctement placés sur le sable, garantiront l’absence d’erreur criante de perspective.

     Pour réussir une anamorphose il faut donc :

          * disposer d’un plan de tracé au sol, un plan précis mais limité aux points repères

          * savoir comment, une fois sur la plage, reproduire ce plan en en respectant les proportions.

     Pour illustrer mon propos j’ai appliqué ces principes au cas d’un temple ressemblant à celui dessiné par Jamie Harkins (cf. photo ci-dessus).

A. Disposer d’un plan de tracé au sol, un plan précis mais limité aux points repères

     J’ai supposé que la plage envisagée pour la réalisation de cette anamorphose est bordée, comme c’est le cas pour celle de Jamie Harkins, d’une dune dont la hauteur suffit pour donner l’impression que, depuis cette dune, on domine le temple bien que celui-ci mesure 5 m de haut et bien que son toit se prolonge jusqu’à plus de 8 m au-delà du fronton (8,09 m exactement parce que j’ai appliqué à mon temple les proportions requises par le nombre d’or pour les constructions harmonieuses).

     L’observateur posté sur la dune est supposé situé face à la colonne du temple la plus proche de lui (sachant que le temple est vu en perspective, avec un angle de 69° à droite) et est supposé regarder le temple en ayant les yeux à 9 m du sol (soit une dune haute de 7,40 m si l’œil de l’observateur est à 1,60 m de ses pieds). La distance entre l’emplacement de l’observateur et le pied de la colonne proximale est supposé égal à 16 m.

     Ces précisions sont cruciales pour l’obtention de l’effet d’illusion d’optique : si les yeux de l’observateur ne peuvent être situés à l’endroit ainsi défini, mais plus haut ou plus bas que 9 m, ou à une distance inférieure ou supérieure à 16 m, il faut refaire les calculs procurant le plan au sol.

     Si, dans ces conditions, on veut que le spectateur (placé au bon endroit) voie un temple ressemblant à ceci :

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     Il faut commencer par tracer au sol un dessin sommaire du type suivant (auquel on pourra rajouter, par la suite, de petits détails inspirés de ceux que j’ai fait figurer sur le dessin ci-dessus : tores accueillant les bas des fûts des colonnes, acrotères posés aux trois angles du fronton, tympan garni de figures antiques, gouttes le long de l’architrave, décoration de la frise par des triglyphes et des scènes ornant les métopes, …) :

 

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      On conviendra que ce tracé au sol n’a rien d’évident : bien malin serait celui qui saurait le dessiner sans erreur à partir de l’image désirée ci-dessus ! C’est pourquoi le recours à des calculs me semble inévitable pour obtenir ce type de plan.

      Mais ces plans ne sont, typiquement, jamais fournis sur le Net par les artistes qui y présentent les résultats de leurs anamorphoses.

     D’où l’intérêt du plan ci-dessus, issu de mes calculs, que j’offre à ceux qui voudraient réaliser avec succès un temple grec en trompe-l’œil.

     Pour obtenir ce plan il faut reporter sur un graphique[1] à deux axes orthonormés (c’est-à-dire de mêmes échelles et se croisant de façon perpendiculaire) les coordonnées des points-repères (cf. liste ci-dessous : X pour le petit côté, Z pour la grande longueur) puis joindre, à la règle, les points qui doivent l’être.

     Si on ne cherche pas à faire figurer, sur le dessin au sol, les ombres portées par les colonnes et le toit du temple, le tracé se réduit aux 29 points-repères principaux suivants, dont les noms correspondent aux lettres qui figurent sur le petit dessin ci-après (tracé sur papier millimétré, avec, pour chacun de ces points et entre parenthèses, leurs coordonnées dans l’espace[2] lorsque le temple est vu de face, donc avant la rotation de 21° qui permet de le voir en perspective) :

nom   Zs_a_ tracer   Xs_a_ tracer

       A       8.8937     -6.8241

       B       6.3833     -0.2843

       C       8.0000      0.0000

       D      10.9864     -7.7798

       E       8.7692      0.0000

       F      11.8705     -8.0791

       G      17.0158     -5.2514

       H      15.6341     -5.0013

       I      12.1803     -6.7218

       J      10.2451     -1.6804

       K      34.0093      1.2718

       L      21.8411      5.0178

       M      20.5878      4.8320

       N      17.8848      4.1307

       O       0.0000      0.0000

       P       1.4335     -3.7343

       Q       0.3584     -0.9336

       R       1.7918     -4.6679

       S       0.9336      0.3584

       T       2.3671     -3.3760

       U       3.3049      1.2686

       V       4.2385      1.6270

       W       5.0967     -3.3993

       X       6.0303     -3.0409

       Y       6.6191      2.5408

       Z       7.5527      2.8992

       p       8.9861     -0.8351

       q       7.9110      1.9656

       r       9.3445     -1.7687 (quatrième point – caché – de la base du temple, avec R, O et Z)

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     Voici ce que donne le tracé au sol (14 mètres de large environ, et 34 m de long) lorsqu’on le réduit à ces 29 points-repères principaux :

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     On remarque que ces graphiques sont à regarder de côté (du côté gauche de la feuille) parce que, du fait que le plan à tracer sur le sable est plus long que large, j’ai choisi l’axe horizontal (parce que c’est le plus long) pour représenter la profondeur du dessin.

     Et voici, lorsqu’on limite le tracé au sol à ces 29 points-repères principaux, le graphique dont il faut relier, par des traits rectilignes, les points qui doivent l’être pour obtenir l’image verticale dont le tracé au sol donne l’impression ; on retrouve alors, mais sans les détails ajoutés au crayon, le premier graphique présenté sur cette page.

    35 

 

A ces 29 points-repères principaux on peut ajouter, pour faciliter le tracé des fûts cylindriques des colonnes, les 18 points-repères subsidiaires suivants :

       a       0.3659     -0.3951

       b       0.5385     -0.0075

       c       1.7994     -4.1294

       d       1.9719     -3.7419

       e       3.8433      1.2611

       f        3.6708      0.8735

       g       7.1575      2.5333

       h       6.9850      2.1457

       i        5.1042     -2.8608

       j        5.2768     -2.4732

       k       9.2771     -5.6983

       l       7.0941      -0.0115

       m    12.1269      1.9204

       n     17.1739      3.8578

       t       8.0526     -1.1935

       u     24.9424     -3.0612

       w     24.9424     -3.0612

       x     20.3952      -2.4091

     Si on veut ajouter, à ces 47 points-repères principaux et subsidiaires, les points délimitant les ombres portées par les colonnes et le toit du temple (qui est orienté en faisant un certain angle avec le nord), et cela en tel lieu, tel jour et à telle heure (des précisions qui permettent de déterminer la position du soleil), on peut ajouter les 21 points-repères suivants, de A2 à x2.

     Alors A2 représente le point de projection au sol de l’ombre du point A à l’heure N°2 (qui correspond à 19 h le 30 août 2022 sur telle plage de Bretagne nord, une heure choisie bien antérieure à l’heure de la marée haute ce jour-là en ce lieu), B2 la projection du point B, etc.

     Sont exclues les ombres relatives aux points-repères situés sur le sol (R, P, Q, O, S, etc.) car leurs ombres se confondent avec eux.

       A2     11.5521      2.1082

       B2      9.7443       6.8178

       C2     11.4436      8.3142

       D2     13.4405      3.1122

       E2     12.1566      8.8323

       F2     14.1663      3.5969

       G2     17.6791      9.3632

       H2     16.9013      8.8211

       I2      14.4969      5.1418

       J2      13.2834      8.3032

       K2     26.4881     12.7447

       L2     20.6274     12.0839

       M2    19.8605     11.5452

       N2     18.0270      9.9972

       k2     11.8282      2.9190

       l2      10.2562      7.0143

       m2    13.8805      8.4055

       n2     17.5151      9.8007

       u2     22.6371      6.8486

       w2     22.6371      6.8486

       x2      19.8348      5.2876

     D’où le graphique ci-après, qui situe chacun des 68 points.

     On notera que déterminer les points qui doivent être joints deux à deux (à la règle) est relativement aisé concernant les points-repères mais peut être nettement moins évident dans le cas des extrémités des ombres car certaines de ces extrémités, que je fais figurer à toutes fins utiles sur le tracé au sol, peuvent n’être que virtuelles si le rayon lumineux correspondant a heurté auparavant une autre partie du temple.

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B. Savoir comment, une fois sur la plage, reproduire ce plan en en respectant les proportions

 

     Une fois achevée l’étape (détaillée ci-dessus) de préparation minutieuse, sur une feuille de papier de format A4 ou A3, du plan du tracé, il reste, une fois sur la plage, à reproduire ce plan en en respectant les proportions.

     Comme ce n’est pas nécessairement très simple, il vaut mieux y réfléchir à l’avance, notamment si on a recours à du matériel spécifique.

     Fondamentalement il s’agit de quadriller, sans perdre de temps car la marée n’attend pas, et avec une précision suffisante, la zone de tracé du futur dessin sur le sable, et cela avec des carrés subdivisant sinon toute cette surface, du moins les parties de cette surface où se trouvent des points-repères (ce qui peut représenter quelques centaines de carrés de 50 cm de côté).

     Avec quelques piquets et une cordelette munie de nœuds tous les 50 cm, on peut assez vite quadriller la zone voulue, à condition d’avoir trouvé un moyen de faire en sorte que l’orthogonalité des lignes soit respectée. Et on peut alors situer, au sein de chacun des carrés les points qui y figurent sur le dessin-papier. Relier ces points deux à deux n’est pas si facile que cela, même en étant guidé par un cordeau, car le sable n’est pas homogène, on n’appuie pas de façon uniforme sur la pointe de l’outil de traçage et on ne recule pas de façon parfaitement droite le long de la ficelle tendue.

     Une suggestion, que j’ai imaginée, concernant une façon simple de créer des angles droits : parce que le théorème de Pythagore permet de vérifier qu’un triangle dont les côtés mesurent 3m et 4m et dont l’hypoténuse mesure 5m est un triangle rectangle (car 3²+4²=5²), je crée une sorte d’équerre avec u rdelette faisant une boucle mais avec trois nœuds espacés de 3, 4 et 5 m, des nœuds à chacun desquels j’attache un piquet. Je place chacun des deux nœuds (B et C) entourant le segment de 5 m sur un des côtés extérieurs de la zone à quadriller et, en tendant les côtés de 3 m et de 4 m qui conduisent au troisième nœud (A) je peux déterminer l’emplacement du sommet du triangle rectangle ; relié aux points B et C, le point A forme un angle droit. CQFD.



[1] Pour obtenir sous forme d'image (imprimable) le plan du tracé au sol, cliquer ici plan_au_sol_du_temple_sans_ombres (notez que, pour ne pas diminuer la lisibilité des lettres identifiant les 68 points, j'ai omis ici les ombres et j'ai conservé des échelles un peu différentes : 10 m sur le terrain sont représentés allongés d'un quart sur l'axe horizontal par rapport à l'axe vertical). Je fournis, en outre, sous le nom temple_et_ombres_a_19hun petit fichier texte (.txt) contenant les coordonnées des 68 points-repères (lignes pour lesquelles la variable heure est vide) et les coordonnées des extrémités des ombres pour les points non au sol, à 19h ce jour-là à cet endroit-là (heure=2). On peut alors faire, dans une feuille Excel, un copier/coller du contenu du Bloc-notes dans lequel ce fichier s’ouvre, et faire tracer ensuite à Excel, via le menu Insertion, ce nuage de points (x,z), et ajouter les étiquettes de points fournies par la variable ID. Attention : si on ne veut pas passer par le téléchargement des fichiers que je mets à disposition mais qu'on veut récupérer directement les coordonnées des points-repères par copier/coller des valeurs figurant sur cette page du blog (ou d'un fichier Word qui le contient), il ne faut pas sélectionner, dans le texte du blog ou dans Word, les trois colonnes d’un coup mais il faut sélectionner tour à tour (en maintenant appuyée la touche ALT) chacune des trois colonnes de valeurs ci-dessous et les copier/coller chacune, l’une après l’autre, dans une colonne de feuille Excel.

[2] Parce que, sauf à recourir à des matrices de transformation, c’est en coordonnées polaires qu’il est le plus simple de faire pivoter le temple sur lui-même, j’ai transformé en coordonnées polaires les coordonnées cartésiennes (x, y et z dans R3) des 68 points-repères caractérisant le temple, que j’avais saisies ; puis, après rotation, je suis repassé aux coordonnées cartésiennes. J’ai alors déterminé les coordonnées Xs et Zs des points au sol ainsi que les coordonnées Xt et Yt des points de l’image (sur le plan du tableau). Tous ces calculs sont faits par des macro-programmes (utilisant le logiciel statistique SAS) que j'ai écrits de sorte que, une fois fournies les coordonnées, dans l'espace, de l'objet (réel ou imaginaire) à représenter en anamorphose, on obtienne immédiatement les valeurs des coordonnées au sol et sur le plan du tableau, ainsi que les graphiques correspondants, le tout en fonction des valeurs données aux paramètres - modifiables à volonté - de ces macro-programmes : angle de la perspective, caractéristiques du sol de tracé (éventuels pente et dévers), position du soleil (azimut et élévation) à trois heures déterminées, position de l'observateur (hauteur de ses yeux par rapport à ses pieds, hauteur de ses pieds par rapport à la plage, distance au dessin, décalage latéral éventuel par rapport au point du dessin dont l'observateur est le plus proche, obtention désirée ou non des ombres à telle et telle heure, graphiques ou non, etc.).

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